Les nombreux villages des Aït Bou Saïd s’égrènent des deux côtés de l’oued éponyme, aussi appelé Oued Lahjar en raison des nombreux rochers qu’il charrie. Les habitants y ont encore, malgré les avancées de la modernité, préservé leur mode de vie fait d’agriculture, d’élevage et de petit artisanat.
D’en bas, difficile d’imaginer que derrière cette longue et très graphique dorsale qui barre au sud-est la vaste plaine de Marrakech, se trouve caché tout un monde de villages, de vergers et d’alpages.

Entre les deux étages de barres rocheuses à l’horizon se cachent des contreforts où la vie est très active.
L’oued Aït Bou Saïd, ou encore Oued Lahjar ou Assif Ouzrou en berbère (littéralement rivière des pierres en français), qui descend directement en deux points des hautes falaises du majestueux Yagour, avant de rejoindre beaucoup plus loin en bas, alors à sec, l’oued Ourika, est une ligne de vie pour d’innombrables villages qui se sont déployés en dérivant ses eaux pour irriguer de jolies terrasses et vivre de leurs récoltes.

Dans cette région, la montagne et le puissant Yagour sont omniprésents.
Au vu des vénérables oliviers et caroubiers dont les habitants, fiers de les avoir conservés, assurent qu’ils dépassent cinq siècles et qu’ils sont les plus vieux de la région, on imagine volontiers que leurs maisons de pierres ont été dressées aux mêmes âges reculés. La région est peuplée de très longue date. Le plateau du Yagour au-dessus n’est-il pas un des plus beaux sites de gravures rupestres du pays, tracées entre le néolithique et l’âge de bronze ?

Sur les arbres des terrasses de la vallée de l’Oued Lahjar vivent encore des oliviers de plusieurs siècles, toujours productifs.
Sur les terrasses de basse altitude, jusqu’à 1000 mètres, et sur les versants ensoleillés, le frileux olivier domine et l’on trouve encore quelques huileries abandonnées où l’on écrasait les olives avant l’arrivée de la route. Plus haut, il est remplacé par le noyer, le caroubier et même le figuier sur les terrasses.
Les terrasses sont irriguées par une séguia aujourd’hui cimentée qui coure depuis une prise d’eau à flanc de falaise. Mais pour les arbres éloignés des réseaux de séguia, des bassines collectent l’eau de pluie.
Deux routes permettent de remonter jusqu’au fond de cette vallée hier difficile d’accès. Elles courent de chaque côté de l’oued qu’elles surplombent. Celle en rive droite, une large piste toute récente, conduit à une demi-douzaine de douars jusqu’à Tasselt, où elle s’arrête. L’autre, en rive gauche, goudronnée et plus ancienne, en dessert autant avant de s’arrêter à Taïnite, où de premières falaises de grès rouge l’arrêtent et obligent à prendre une piste pour s’enfoncer vers les entrailles du puissant Yagour au Sud, d’où sourdent de nombreuses sources, dont une en pleine falaise, à l’eau légèrement gazeuse.
La vie dans ces villages est rude, comme une fatalité en pays berbère, et nombreux sont les hommes qui sont allés tôt chercher ailleurs les moyens de faire subsister leurs familles. Mais leur attachement à cette vie de grand air, libre malgré les peines, le lien à leurs maisons bâties de leurs mains, à leurs parcelles héritées de génération en génération dont les tours d’eau sont toujours distribués avec la même régularité ancestrale, les ramènent toujours à cette nostalgie, à leurs racines.

Beaucoup de maisons de pierre et de terre subsistent, malgré la tentation du ciment. Elles dénotent d’un savoir-faire aujourd’hui presque perdu.
Un petit souk le samedi
Sebt Iguerferouane est une localité récente, bâtie sur un replat dans cette région très tourmentée. Depuis que les premiers bâtiments administratifs y ont été construits dans les années quatre-vingt, un Souk s’est organisé le samedi. Les habitants des contreforts viennent s’y approvisionner pour la semaine, profitant du transport informel qui se met alors en place pour desservir le marché. Avant ce marché, les Aït Bou Saïd devaient faire leurs courses beaucoup plus loin, sur un des trois marchés qui existent depuis toujours : Tnine Ourika, Jemâa d’Aghmat et Tlat d’Aït Ourir. Pour les Aït Bou Saïd, aller s’approvisionner au marché du mardi d’Aït Ourir représentait un itinéraire de trois jours à dos de mule, avec deux nuits d’étape à Tihouna, près de l’Igoudar des Aït Ghmate, où les Aït Bou Saïd ont d’ailleurs conservé de très anciens droits de propriété.
Le village s’est fait une spécialité de la vannerie de doum et du travail du bois. On y fabrique par centaines ces petits tabourets rustiques dont l’assise est en corde de feuille de palmier nain tressé (doum). Les artisans travaillant d’abord le peuplier blanc qui abonde dans le lit des oueds, mais aussi l’eucalyptus. Il s’approvisionne également en diverses essences d’agrumes, au bois blanc caractéristique, et qui arrivent par camion de tout le pays pour repartir en objets de cuisine tournés et sculptés, comme ces fameuses cuillères à harira encore très demandées par la population locale.

Au souk d’Iguerferouane officie toujours régulièrement un arracheur de dent, à l’ancienne, sans anesthésie. Sa boîte est pleine de dents arrachées au prix d’une forte douleur pour ôter… la douleur.
