La terre, résolument

Dans un temps pas si lointain, Dar Rana était au bout d’une piste, que l’on vienne de la route des Fès ou de la route de Ouarzazate. 5 km la séparait du goudron, de la civilisation et… du ciment. Toutes les maisons du village étaient en terre sans aucune exception.

Le propriétaire qui a planté sur le lieu actuel les oliviers il y a plus de 70 ans mettait à la disposition de ses voisins sans terre un petit espace sous le virage où ils préparaient et faisaient sécher des briques de terre et de paille. L’argile qu’on y trouve s’y prête à merveille.

Aujourd’hui, il n’est plus une seule maison, plus un seul long mur d’enceinte qui ne se construise en ciment. Plus rapide et moins cher, permettant de plus longues portées, il a remporté la partie. C’est l’accession à la modernité. Aussi, la construction en terre qui était bon marché puisqu’entièrement issue d’un matériau disponible gratuitement, est-elle devenue aujourd’hui une aventure, parfois même un luxe.

Dans le village autrefois tout de terre, le savoir-faire disparaît faute de chantier. Pour bâtir la maison et ses dépendances, 16 000 briques de terre de gros calibre (40 cm) ont été préparées dans le champ d’en bas. C’est un presque sexagénaire mince, petit et sec comme une trique qui les a toutes fabriquées sur une année. Quelques jeunes ouvriers s’y sont essayés, mais nul autre que lui n’a dépassé la semaine de labeur à malaxer la terre et la paille avec ses pieds.

Un maçon analphabète, berger du village dans son enfance, les a assemblées au mortier de chaux, une à une, sur une hauteur de huit mètres pour les murs les plus hauts. Presque deux années de labeur pour cette maçonnerie de terre, qu’il faut protéger de la pluie par des corniches.

D’autres artisans sont venus monter les murs d’enceinte à la banche, travaillant au mètre. Le passage de la route a cependant imposé une concession au béton, alors que le mur initial était directement posé sur le sol.

Aujourd’hui, « la maison artisanale dans le virage », comme l’appellent les gens du cru, est la rare représentante de ce qui sera bientôt une survivance. Ceux qui gardent une maison de terre se sentent pauvres par rapport à ceux qui en ont construit une en parpaings de ciment.

Mais tous ont gardé le souvenir du confort thermique inégalable qu’apportait leur maison de terre. Lorsque le douar suffoque sous les chaleurs extrêmes de juillet et août, ils sortent dormir à l’extérieur de maisons trop chaudes en été et trop froides en hiver.